Jorge Perez

Castaño

1932-2009

Si Danton « n’emportait pas sa patrie à la semelle de ses souliers  » Jorge Perez Castaño lui emporta dans sa palette toute la couleur et la magie de sa patrie : CUBA.

Né en 1932 dans cette île des Caraïbes, il est une des figures de proue de la peinture cubaine. Pourtant, c’est à 27 ans, après des études d’architecture et de peinture qu’il quitta son île, à la faveur d’une bourse, à la rencontre de la culture et de la peinture européennes. C’était en 1959, il ne devait plus jamais retourner dans son pays. C’est à Paris qu’il se fixa, rencontra sa femme Jeanne et fonda une famille.

La grisaille parisienne, dit-il, paralysa sa créativité pendant six mois, mais des visites quotidiennes au Louvre, lui redonna envie de peindre. Ses premières oeuvres en France marquent cette difficulté emprunte de tristesse, elles sont souvent abstraites, dans des couleurs monochromes : noir, gris quelques fois jaune et blanc. Mais, très vite, la culture cubaine ou plutôt des Caraïbes va exploser dans son travail.

La couleur d’abord, il ose. Et si Matisse avait ouvert la porte, lui la franchit avec éclat : des rouges, des roses, des violets, des verts tendres, des verts sombres, des noirs ou des bleus profonds. Pour leur donner plus de présence, il utilise la laque, ce qui fait dire à sa grande amie Sonia Delaunay en plaisantant, que sa peinture est lavable, en tout cas son utilisation en est audacieuse.

La géométrie ensuite. L’architecte est aussi présent dans son travail où il appréhende l’espace de façon souvent géométrique, les cercles, les triangles, s’entrecroisent avec des droites franches pour former comme dans ce « Jardin » des trèfles, des feuilles, des arbres ou des corps féminins. Cette peinture en aplat bannit la perspective et le volume. La profondeur est donnée par la géométrie et surtout par le jeu des couleurs, un rose à côté d’un mauve sur un fond noir …

Il y a la couleur, l’architecture, il y a aussi dans sa peinture le peuple cubain peint avec beaucoup d’humour, quelques fois grinçant, mais beaucoup d’amour aussi. Nous avons ainsi la chanteuse, la star, les mariés, la mulâtresse, tout le folklore cubain, sans oublier la faune comme dans « la conversation en forêt« , c’est irrésistible et inclassable.

La magie et l’imagination débordante sont aussi présentes dans son oeuvre, associées à la dérision, avec les séries des « boites à magie » ou des « autels », nous en avons quelques exemples parmi beaucoup d’autres.

La musique : c’est une peinture qui vous donne envie de danser, de chanter tant la joie et le bonheur de vivre ressortent de ses toiles ; il nous dit lui-même « je n’étais pas fait pour être un peintre intellectuel, triste, et mes couleurs un peu barbares, sauvages, envahissaient de nouveau mes toiles.je n’ai jamais essayé de contrôler ma peinture, je l’écoute« .

L’amour : il en est le peintre. Amour des gens qu’il peint avec bonheur, amour de la nature, amour des animaux : ses chats et ses oiseaux sont merveilleux de poésie.

La poésie : toute son oeuvre est poétique. Comment résister à la « Rivière« , femme dont la chevelure ondule entraînant des poissons bleus, à l’oiseau bleu déployant ses ailes sur un fond jaune, à la boite magique d’où sort un bouquet de fleurs stylisées.

Poète, coloriste, humoriste, musicien, architecte, amoureux, Jorge Perez Castaño est inclassable, Gilles Neret disait de lui « il se dresse monolithique, imperturbable avec ses grandes toiles et ses petites gouaches, insensible aux modes, faisant ses tours de marionnettes sans souci du qu’en-dira-t-on« .

Hélas en 2009 la boite à magie s’est refermée sur le peintre poète et l’a peut-être emportée dans la chevelure de la « Rivière « avec les poissons, dans son île qu’il n’avait jamais quelque part quittée.

 

Catherine JOURDE

Octobre 2016