Jean

Lambert-Rucki

1888-1967

Lambert-Rucki, peintre et sculpteur d’origine polonaise, est né à Cracovie le 17 septembre 1888. Il passa son enfance dans une ambiance confortable et tendre, au sein d’un pays violemment déchiré.
À la mort de son père, Rucki entre au Gymnase de sa ville natale puis à l’Ecole des Beaux-arts aux côtés de son ami Moïse Kisling. C’est en 1911 que Rucki arrive à Paris où il fréquente l’Académie Colorossi. Kisling l’accueille et l’introduit dans le milieu de la bohème de Montparnasse et de Montmartre.

En 1913, Rucki hébergera son ami Amadeo Modigliani qui eut une très grande importance dans son œuvre. Rucki fut influencé par trois courants majeurs : l’art égyptien, byzantin et africain. ». Rucki fait partie de la « Section d’or », mouvement fondé par Archipenko et Survage dans le but de faire connaître les oeuvres d’artistes de toutes nationalités. C’est en 1920 que Rucki expose ses œuvres avec de nombreux autres artistes. Il présente notamment ses savantes « compositions » qui annonçaient déjà sa fascination pour la « ville ». Les œuvres de Rucki sont marquées par une stylisation cubisante qui prend essentiellement pour sujet des formes familières, des silhouettes de la rue, « Les Péquenots ».

Il propose à la galerie « L’Effort Moderne » de Léonce Rosenberg des toiles, des dessins à la plume, des sculptures en bois polychrome ou mosaïquées. Rucki expose régulièrement au Salon d’Automne, des Indépendants et des Tuileries. On peut parler avec Rucki de l’invention de nouveaux signes, d’un bestiaire réinventé.

Sa rencontre avec le fameux laqueur Jean Dunand pour qui il travaillera pendant 20 ans (1920-1940) offrira à l’artiste l’occasion de travailler le laque, la coquille d’œuf, l’or, l’argent, la soie. Cette rencontre fut décisive et leur collaboration donna de nombreux chef-d’œuvres. En 1930, les membres fondateurs de l’U.A.M. (Union des Artistes Modernes) invitent Rucki à exposer au Pavillon de Marsan et en 1931, il expose à la galerie Georges Petit.
En 1937, l’architecte Pingusson , fit appel à Rucki pour réaliser le bas relief monumental « L’Accueil des Artistes Modernes » pour l’entrée du pavillon de l’U.A.M. À l’intérieur de celui-ci, près de 40 sculptures et masques sont exposés. En 1938, Rucki expose ses œuvres d’art religieux au Musée des Arts Décoratifs. Il réalise également sa première œuvre d’art religieux à l’Eglise de Blois, un chemin de croix en haut-relief et en ciment polychrome. Grâce au clergé, Rucki poursuit sa route sans trop de contraintes matérielles.
Après le choc de la seconde guerre mondiale, Rucki retrouve une spontanéité instinctive où se mêlent parfois détresse et désarroi. L’effondrement de la Pologne, son pays natal, l’affecte profondément.

En 1943, Rucki expose à la galerie Drouant-David un ensemble d’œuvres dont la série des « Coqs » en tôle et fer polychrome. Comme Picasso, peu lui importait le support pour donner libre cours à ses émotions.

Dans ses œuvres de 1960-65, malgré la maladie, on voit réapparaître le bestiaire familier de Rucki dans des prisons d’ombre lunaires où se mêlent inquiétude et humour. Jusqu’à ses derniers moments et dans l’indifférence presque générale, Rucki gardera cette vitalité créatrice pleine de tendresse.

Jean Lambert-Rucki meurt le 27 juillet 1967.

Le Bestaire de Jean Lambert-Rucki : « Derrière l’animal l’Homme, auprès de l’homme l’Animal »

Le bestiaire de Jean Lambert-Rucki abrite les animaux familiers, les animaux de compagnie, comme le chien et le chat qui cohabitent sur le dallage de la cuisine dans (« Entre chien et chat »), et les humbles animaux de la ferme.

Même dans une approche qui s’écarte du naturalisme académique, l’animal est empreint d’une douce humanité, celle du regard et de la main qui l’ont modelé qui affleure toujours sous la beauté plastique de la forme.

Ses oeuvres sont parfois à la croisée des styles associés dans un syncrétisme harmonieux. Ainsi, l’art tribal africain : une des gueules du trio de « Chiens » ressemble à un masque nègre comme le traitement de la lampe « Femme à l’oiseau » évoque un totem.

Le travail sur les ombres portées avec des sculptures filiformes rappelle celui de Giacometti mais il y introduit la polychromie joyeuse (« L’ombre et l’âne ») comme les surfaces lisses se calque sur celles de l’Art déco (« Vache et son petit », « Ours dans la forêt »). Il pratiquera également une stylisation cubisante qui va presque jusqu’à l’abstraction (« Le coq »).

Jean-Lambert Rucki est l’un des rares artistes à utiliser la technique du bronze peint ce pourquoi son œuvre singulière est très prisé des collectionneurs.

Les plus recherchées restent celles dont la fonte date du vivant de l’artiste (cf notre modèle Fonte Clementi, 1960). Vers la fin de sa vie, Lambert-Rucki n’ayant plus mes moyens financiers suffisants pour faire fondre ses œuvres en bronze ni même pour acheter de la tôle, il finit par les modeler en plâtre, accrochant avec audace sur les armatures en fer forgé des figures oniriques pleine d’irrévérence, ou des animaux domestiques, ânes, chiens, chats et bœufs, curieusement transformés en gente fantastique en les associant à des personnages clownesques.
« Lorsque au tout début des années soixante-dix, Mara Rucki m’invita à visiter l’atelier de son père rue des Plantes à Paris, je trouvais là pêle-mêle, des cartons entiers de dessins, une multitude d’études en grandeurs réelles, de très nombreuses sculptures en fer soudé et peint à côté d’une accumulation étonnante de sculptures en plâtre peint, montées sur des fils de fer. Certaines étaient fixées sur des socles en acier, d’autres étaient accrochées sur les murs ou suspendus par des clous et des ficelles mais un grand nombre était posé par terre. Mon étonnement était grand et mon intérêt manifeste mais que faire de tout cela. Devant mon attitude embarrassée Mara Rucki m’expliqua que faute d’argent pour terminer ses œuvres, son père pris d’une frénésie créatrice travaillait sans discontinuer en utilisant la matière la moins chère possible dont il pouvait disposer, le plâtre et le fil de fer et que ce faisant il avait inventé un nouveau moyen d’expression. En 1977, le musée Bourdelle à l’initiative de Michel Dufet organisa une première exposition rétrospective de ses œuvres. Par la suite, plusieurs ventes aux enchères des plâtres originaux provenant de l’atelier furent proposées au début des années quatre-vingt pour libérer l’atelier. La première à Versailles en octobre 1981 et la seconde à Drouot, pour laquelle nous étions experts, en décembre de la même année. Les amateurs furent nombreux et ceux qui achetèrent des plâtres originaux, particuliers, musées ou marchands, obtinrent de la famille les droits de tirages de ces œuvres que le talentueux artiste n’avait pas eu l’occasion de réaliser dans un matériaux plus solide par manque d’argent sinon par manque d’intérêt de ses contemporains. Dans les dix années qui suivirent la plupart de ces plâtres furent édités constituant le tirage original, légal dûment numéroté et contrôlé par la famille. Les ayant-droits recevant les exemplaires justificatifs hors commerce auxquels ils avaient droit constituèrent dans un premier temps, à Paris, un petit musée privé pour les présenter ensemble. »
Félix Marcilhac in Catalogue de la vente ESPACE TAJAN, COLLECTION MARA ET LÉANO RUCKI, 25 SCULPTURES DE JEAN LAMBERT-RUCKI (1888-1967), Lundi 19 MAI 2003